A propos de harcèlemernent: Victimes et bourreaux.. réactualisé
Ce n’est pas Ouragan sur le Caine,(1) mais c’est pourtant une tempête qui souffle sur la frégate « La Fayette ». Un drame que l’on pourrait insidieusement considérer comme banal, tant le harcèlement est devenu l’une des causes de suicide au sein des entreprises. Pour la première fois, dans nos armées et à ce niveau, une plainte aboutit à un procès.
Le commandant Eric Delepoulle, ancien pacha du 'La Fayette" se retrouve devant une juridiction civile pour « harcèlement moral » mais aussi pour «dégradation des conditions de travail pouvant porter atteinte au droit, à la dignité et à la santé d'autrui». Or dans une enquête interne, L’Etat-major de la Marine avait totalement disculpé cet officier.
Dans le monde militaire, l’évocation du harcèlement est tabou, tant il touche au domaine de l’obéissance et des prérogatives du chef. L’obéissance est inscrite dans les gênes d’un système qui est basé essentiellement sur l’obéissance au chef, surtout lorsque celui-ci est commandant de navire, et qu’il est seul maître à bord.
Pour éviter tout quiproquo, je m’empresse de dire que l’immense majorité de ceux qui sont investis de l’autorité, n’en abusent pas. Et dans le domaine militaire, la palette de ceux qui détiennent une parcelle d’autorité commence au caporal et finit au général. Mais dans ce cas particulier sous réserve d’attente du jugement et dans le respect de la présomption d’innocence, il est possible cependant de se poser quelques questions.
Sa victime présumée (à défaut de désigner un coupable on peut toujours présumer de la réalité d’une victime) est un sous-officier qui était proche, du commandant du navire, très proche, puisqu’il était attaché à son service. Il était son maître d’hôtel. Il faut savoir, que dans la Royale, les traditions ont la vie dure, le commandant a droit a certains égards, voire certains privilèges qui datent d’une époque où les talons rouges étaient le symbole de la noblesse et par conséquence aussi celle des officiers de la Royale, qui étaient tous nobles. Le Nec Pluribus Impar que l’on pourrait traduire par extension par « au dessus de tous » était la devise du Roi Soleil, elle était aussi celle des officiers. Eric Delepoule aujourd’hui, sauf erreur, coordinateur des projets de haute technologie à l'Etat-Major des Armées semble en avoir saisi toute l’importance.
Les faits remontent à 2010. Sébastien Wancké, « majordome » de l'accusé, s’était pendu à bord du La Fayette. Ce second maître, selon son avocat, assurait des journées de travail de plus de quinze heures et faisait face à "un rythme et une charge de travail écrasants". Le jour de la prise de connaissance de sa notation, Sébastien constate qu’un " manque d’investissement" est rapporté par son supérieur, et que cela caractérise son engagement de tous les instants et récompense son travail. Cela lui parait injuste et manifestement humiliant, c'est la vexation de trop. Il craque et met alors fin à ses jours.
Il est vrai qu’entre, être au service du chef et devenir son larbin, voire son esclave, il y a un fossé. "Il faisait son lit, nettoyait les toilettes, repassait ses vêtements, et était contraint de rester régulièrement à bord, en dehors de ses heures de service, et ce afin de servir les nombreux repas organisés au profit d’amis (du capitaine)", raconte la compagne de Sébastien Wancké. En fait, il était de par ses fonctions, responsable du carré des officiers supérieurs, dans une frégate de type Lafayette cela implique le service à table pour 6 personnes.
Le commandant Delepoulle, lui, estime qu’il n’est en rien responsable et que les allégations à son encontre sont fausses. Pourtant, le médecin du bord avait semble-t-il fait remonter quelques informations (à quel niveau ?) sur l’ambiance délétère qui régnait sur la frégate. Lors de l'instruction, les témoins ont tous raconté la même histoire : une "ambiance exécrable", "des pressions permanentes"., le commandant, Eric Delepoule, âgé de 43 ans, est issu de l'école navale de Brest.
Il était connu, tant sur le navire qu’en-dehors, pour son intransigeance et son "manque d'humanité". L'équipage était "son petit personnel" et les punitions pleuvaient tellement que la chaîne de commandement sous ses ordres ne les appliquaient pas toujours. Le médecin de bord évoquera même, lors de son audition, un gradé "se prenant pour Dieu à bord". Cela évoque qu’on le veuille ou non « Ouragan sur la Caine »
Le refus par l'équipage de fêter le traditionnel franchissement de l'équateur, et le "turnover" élevé dans ce bâtiment chargé notamment de la traque des bateaux pirates sont des éléments qui méritent réflexions.
Ces faits, repris par la presse nationale, inspire au moins trois réflexions.
La première est celle de la désignation aux postes de commandement. Un navire est un huis -clos dans lequel le confinement, la promiscuité, sont une constante. L’unité de lieu et de temps qui fait que pendant de longues semaines, on y travaille, on y dort, on s’y repose, lieu où l’on croise les mêmes personnes, où la possibilité de s’isoler et de se couper du monde est illusoire, renforce le sentiment à la fois de solitude et de manque de communication.
Ce sentiment est d’autant plus flagrant, lorsqu’il est impossible de se soumettre jour et nuit à une autorité exigeante et injuste. La second maître Wanké était singulièrement encore plus seul, puisqu’il était sous sollicitation constante, dans un cercle plus réduit encore, celui du carré des officiers. Isolé dans un huis-clos encore plus étanche.
La désignation d’un chef dans ces conditions devrait alors inclure une étude poussée des profils psychologiques, éliminant sans faiblesses ceux qui avant de servir, ont une propension à se servir. A titre personnel et toute proportion gardée je me souviens d’un chef qui exigeait de ma part la mise en place d’un conducteur pour son véhicule de fonction le week-end, et qui demandait à se même conducteur d’attendre dans la voiture au pied de l’hôtel ou ce Monsieur aimait rencontrer ses maitresses. Pour avoir oublié un jour de lui avoir fourni véhicule et conducteur, je fus sévèrement réprimandé et ma notation cette année-là en avait pâti. Les conducteurs devaient d’ailleurs se plier aux caprices de cet officier très supérieur. Croissants à son domicile le matin, petites courses etc. Où commence l’exigence d’un chef, où finit son autorité ? A qui se confier lorsqu’il y a problème ?
La seconde est celle, de la non-réactivité de la hiérarchie. Fallait-il maintenir à son poste cet officier ? Cette hiérarchie souvent solidaire, ressentie parfois comme une caste, pouvait-elle ignorer les problèmes de commandement sur ce navire ?
La troisième question est celle de créer les conditions pour qu’un personne, quel que soit son grade ou sa place dans la hiérarchie, puisse trouver un lieu d’écoute et éventuellement de défense. Mais cela est une autre question, les mentalités ne sont pas prêtes à en accepter l’augure.
Est-ce donc pour ses multiples raisons que le 15 juin 2010 au large de la Sicile, le second maître Sebastien Wancké se pend ? Dix mois plus tôt, sur ce même navire, un officier avait tenté de se suicider. Si ce fait est avéré, pourquoi ? quelles conséquences en furent tirées?
Il y peu de temps, le lieutenant de gendarmerie Grégory Girard, 30 ans, célibataire, commandant la communauté de brigade de Saint-Amand-Montrond (18) a mis fin à ses jours dans son bureau en utilisant son arme de service. Il était victime d’un harcèlement. Deux supérieurs hiérarchiques de ce jeune officier en seraient responsables. L’enquête est en cours
Les Armées n’échappent pas au harcèlement Elles sont le reflet de la société. Mais combien de cas sont-ils portés à connaissance? Combien de personnes en pâtissent ? Combien se protègent derrière leur impunité ?
Le harcèlement est une conduite abusive qui par des gestes, paroles, comportements, attitudes répétées ou systématiques vise à dégrader les conditions de vie et/ou les conditions de travail d'une personne. Parfois elle sert à stigmatiser, humilier, abaisser, décourager un subalterne. Cela est parfois considéré comme un viol, toujours comme une souffrance. Et cette souffrance parfois, on le sait, pousse au suicide… Cela est intolérable en soi. Entre victime ou bourreau, il faut savoir choisir. Parfois les systèmes font que le bourreau possède le droit et le règlement pour lui, la victime n’a alors plus qu’une seule voie pour s’y soustraire…
« Le respect de la personne humaine en général ne peut suffire à nous guider car nous avons affaire à des individus séparés, opposés : la personne humaine est entière dans la victime et dans le bourreau ; faut-il laisser périr la victime, ou tuer le bourreau ? » Simone de Beauvoir. Mais lorsque la victime est morte alors il est temps de punir le bourreau à défaut d’avoir pu intervenir avant ?
Roland Pietrini
(1) Ouragan sur le Caine
- Date de sortie : 15 septembre 1954
1943. Le jeune Willie Keith embarque à bord du dragueur de mines "Caine" et trouve le comportement du commandant De Vriess trop peu conforme à l'idée qu'il se fait de ce poste. Lorsque ce dernier est remplacé par le capitaine Queeg, Willie s'en réjouit et apprécie sa rigueur. Mais Queeg s'avère être un névrosé qui impose une discipline inhumaine et un commandement tyrannique. La révolte gronde sur le "Caine" et le second, Maryk, est bientôt amené à destituer le commandant et à prendre sa place...
Dernière minute.:
Le vice-procureur Emmanuel Merlin a requis un an d’emprisonnement, «éventuellement assorti de sursis» et 6.000 euros d’amende, tout en regrettant que les peines maximales prévues par le code pénal (un an de prison et 15.000 euros d’amende à l’époque des faits, deux ans et 30.000 euros aujourd’hui, ndlr) «ne semblent pas faire justice à ce qui s’est passé».
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